La découverte des métiers des uns et des autres continue avec Edith, écrivaine et traductrice à Bruxelles. Si en entendant le mot “écrivain” vous avez l’image d’Épinal du vieux monsieur avec sa pipe, qui caresse tranquillement son chat dans sa maison de campagne en attendant l’inspiration vous allez être surpris !
Tu es écrivaine et traductrice. En quoi consiste ton travail exactement ?
Mon travail de traductrice (littéraire, très différent de traductrice technique) consiste à traduire des livres à la demande d’éditeurs qui ont acquis le droit de les faire traduire, ce qui se paye parfois très cher s’il s’agit de best-sellers ; inversement, les traducteurs littéraires, contrairement aux traducteurs techniques, le sont très peu et c’est un métier précaire et aléatoire où la survie est affaire quotidienne et passablement usante. Me payant le “luxe” de cumuler deux fonctions artistiques, autant dire que j’ai mangé des pâtes ou des pommes de terre plus souvent qu’à mon tour ! L’écriture étant ma véritable passion, je vis un peu mieux les aléas dans cette partie-là de ma vie, mais ce n’est pas facile pour autant.
“c’est un métier précaire et aléatoire où la survie est affaire quotidienne et passablement usante”
Côté traduction, l’on m’envoie donc un livre, que je lis ou pas, que j’accepte ou pas, on me paye une avance correspondant à un tiers de la somme globale, après quoi j’ai entre trois et six mois pour le traduire, à raison de 4 à 10 h de travail par jour, selon les délais et la difficulté. Pour le Pulitzer 2014 (Le Chardonneret de Donna Tartt) j’ai eu six mois pour 800 pages, ce qui est de la folie pure, il m’aurait fallu une année ! Le paiement final intervient des mois plus tard, d’où la difficulté qu’il y a à vivre correctement de ce métier, et il est soumis à l’acceptation du texte ! Il faut par ailleurs posséder un bon sens de l’auto discipline, puisque personne ne vous surveille et que l’on travaille chez soi (merveilleux privilège !). Chaque jour, attaquer de nouvelles phrases, les dépiauter pour les comprendre, chercher des mots dans le dictionnaire (ou sur le Net) et tenter de rendre chacune dans un français le plus éloigné possible de la formulation d’origine, et donc le plus fluide possible.
Côté écriture les commandes sont rares, sauf en jeunesse – une vingtaine de textes ou albums publiés – auxquelles je réponds régulièrement pour les éditions Lito. J’écris au fil de l’inspiration et de la plume, ce qui ne m’a pas empêchée de suivre des cours d’écriture, structurés et structurants, à Bruxelles une année durant, l’une des plus formidables de ma vie ! J’écris donc selon les sujets qui me parlent, une écriture intimiste généralement, telle qu’on la retrouve dans mes nouvelles et poésies publiés ici et là en francophonie, mais plus particulièrement dans mon roman (Le Bûcher des anges, Bourse SGDL du 1er roman) et mes deux récits oniriques (La Femme sans nom et La Ville de la Pluie, éditions Maelström, disponibles en France auprès du Collectif des éditeurs indépendants et sur Amazon).
En quel domaine es-tu spécialisée ?
En traduction je n’ai pas vraiment de spécialisation, disons que je traduis essentiellement de la littérature générale anglo-saxonne, parfois des articles de presse, et qu’au sein de la littérature générale j’ai une préférence pour les romans psychologiques intimistes. Mais l’on ne traduit pas toujours ce que l’on aime, ni ce pour quoi l’on est doué ! On traduit ce que l’on vous propose, nuance, et au prix – pas toujours respectueux de vos efforts, ni en adéquation avec ces derniers – que l’on vous impose !
“on ne traduit pas toujours ce que l’on aime, ni ce pour quoi l’on est doué ! On traduit ce que l’on vous propose”
En écriture j’ai, pour mon malheur car c’est très peu commercial, opté pour la prose poétique, très difficile à faire publier, et quasiment invendable. Miracle des miracles, j’avais non seulement obtenu un prix pour ma première nouvelle – Prix de la nouvelle RFI – mais j’en ai également obtenu un pour mon premier roman (pour le moins difficile !), et aussi décroché deux télévisions qui ont considérablement stimulé les ventes de ce dernier !
Qu’écris-tu en ce moment et pourquoi ?
Je viens de publier il y a peu chez Maelström (Belgique) un texte poétique intitulé La Ville de la Pluie, qui correspond en fait à une commande (rare dans ce domaine) de textes sur Bruxelles. Je constate que c’est toujours plus facile dans ce sens-là, car là on peut répondre à une envie, combler un vide. A part ça, j’ai peu le temps d’écrire en ce moment parce que je traduis beaucoup – et l’un nourrit l’autre – mais j’ai nombre de manuscrits en attente de lecture, et nombre de projets en stock, recueil de nouvelles, roman épistolaire, récit familial. Le problème chez moi n’est certainement pas le manque d’inspiration mais le peu d’éditeurs courageux prêts à éditer ma prose très particulière, c’est-à-dire peu commerciale.
Quelles études as-tu faites pour exercer ce métier aujourd’hui ?
J’ai fait des études d’anglais (lettres et civilisation anglo-américaines), générales, donc, avec l’une ou l’autre option traduction (j’étais d’ailleurs meilleure en thème !), complétées plus tard par un DEA (Master 2) en communication, et plus tard encore par des cours d’écriture une année durant (scénario, jeunesse, roman, nouvelles). Mon mémoire de maîtrise (Master 1 aujourd’hui) portait sur la traduction commentée d’un recueil de nouvelles américain, publié par la suite, et sous son nom, par mon directeur de mémoire…
Aujourd’hui il existe des Masters spécialisés en traduction, ce qui est merveilleux mais qui fait déferler sur le marché encore plus de candidats à un métier qui offre pourtant bien peu de perspectives.
Quel a été le déclic qui t’a fait dire un jour “Je veux faire ce métier” ?
Il n’y a pas eu de déclic en soi – au départ j’étais assistante en fac – mais plutôt une occasion inattendue qui s’est présentée : j’étais chez une amie universitaire lorsque un éditeur l’a appelée pour lui demander si elle n’aurait pas un traducteur à lui recommander… J’ai fait un échantillon – c’est la procédure habituelle quand on débute -, l’éditeur l’a aimé et la traduction, un deuxième recueil de nouvelles américain, m’a été confiée. Depuis j’ai été contactée par d’autres éditeurs – c’est le bouche à oreille qui fonctionne surtout dans ce métier – et compte une petite quarantaine de traductions à mon actif.
Quel est le sens profond de ton travail, ce qui te plaît dedans ?
Je ne sais si mon travail de traductrice a un sens tout court puisqu’il consiste à alourdir encore le marché de livres qui le polluent tant et plus sans la moindre garantie de qualité ! Il y a beaucoup de livres, bien peu de littérature, et parfois cela me contrarie de participer à ce mouvement de nivellement par le bas qui a fait que mes traductions les plus belles, les plus importantes, sont passées totalement inaperçues. Mais soit.
“Je ne sais si mon travail de traductrice a un sens tout court puisqu’il consiste à alourdir encore le marché de livres qui le polluent tant et plus sans la moindre garantie de qualité”
Ce qui me plaît le plus, dans ce métier – car je n’ai pas une âme de recherchiste et possède une appétance très modérée pour les dictionnaires – c’est la phase finale, celle qui consiste à retravailler le texte une fois tous les soucis déblayés pour qu’il sonne “le plus français” possible. Vers la fin c’est un travail de dentellière et, en tant qu’ancienne brodeuse au point de croix, j’aime beaucoup ça. De bout en bout, de toute façon, c’est un travail de détails et de patience.
Quant à l’écriture, cette activité constitue ma véritable passion et là tout me plaît, de la maturation à la rédaction, en passant par la structuration du récit, des compétences affinées au fil des traductions que j’ai eu l’occasion de dépiauter “de l’intérieur”, traductions que nourrissent par ailleurs mes compétences d’auteur.
Qu’aurais-tu à dire au gens qui nous lisent concernant l’écriture et la traduction ?
A vrai dire, j’ignore un peu tout de ce qui se véhicule sur le métier de traducteur, plutôt mal connu du grand public de toute façon. Il existe un excellent film (disponible en DVD) qui retrace le parcours d’une vieille traductrice passionnée par son métier et qui a traduit les plus grands (vers le russe) : La Femme aux 5 éléphants.
Je dirai quant à moi que la traduction est un travail solitaire – un peu moins depuis le Net – qui demande à la fois des compétences techniques (l’art de bien traduire n’est pas automatique même quand on parle bien une langue), linguistiques et culturelles (mieux vaut avoir vécu dans le pays !), une bonne culture générale (on est amené à toucher à des tas de domaines différents, même en littérature dite générale), et surtout une grande finesse et subtilité dans la maîtrise de sa langue maternelle (qui est toujours celle vers laquelle on traduit), que l’on doit servir du mieux que l’on peut. Une fois imprimé, votre texte – car en France le traducteur littéraire a statut d’auteur – est comme gravé dans le marbre et c’est une lourde responsabilité. Les journalistes littéraires ne se privent d’ailleurs pas pour vous vous assommer quand vous avez “fauté” ! Ingrat labeur, c’est indéniable.
“Côté écriture, les mythes abondent, de l’écrivain maudit à celui à qui tout sourit. Il faut pourtant savoir qu’en France seule une centaine d’écrivains vit de sa plume, que c’est un métier passablement ingrat”
Côté écriture, les mythes abondent, de l’écrivain maudit à celui à qui tout sourit. Il faut pourtant savoir qu’en France seule une centaine d’écrivains vit de sa plume, que c’est un métier passablement ingrat, lui aussi, que les écrivains les plus connus et reconnus sont loin d’être les meilleurs, que l’air du temps joue pour beaucoup dans le succès, que beaucoup d’écrivains de qualité restent à jamais inédits (certains d’ailleurs se suicident), que la gloire n’est pas un cadeau car l’on vous attend en permanence au tournant, qu’écrire ne consiste pas à noircir des pages au gré de ses envies, il faut réfléchir, structurer, après quoi l’édition relève de la pure loterie, un texte publié pour mille et plus proposés, bref ce n’est pas une sinécure !
Chaque mois j’expose ces difficultés dans le blog traducteurs ou auteurs de mon site. Ceux que ces sujets intéressent peuvent s’inscrire à l’une ou l’autre newsletter pour être sûrs de ne pas en rater une seule !
As-tu une anecdote inattendue/amusante (ou pas) à propos de ton travail ?
Lors de la publication d’un texte de commande datant de l’époque où j’avais une ponctuation quelque peu atypique, l’éditeur s’est dit ravi du texte mais m’a signalé que le transfert Internet avait déplacé mes virgules… Quand je lui ai expliqué que c’était voulu, il s’est montré tout à coup nettement moins ravi du texte et m’a demandé de le retravailler, de crainte que l’on ne pense qu’il publiait des textes grammaticalement incorrects ! Quel courage ! Qui plus est, l’éditeur en question était poète ! Inutile de préciser que j’ai refusé et que le texte est donc resté inédit…
Des années auparavant, lors de la publication de ma première traduction (Anagrammes, de Lorrie Moore) j’ai eu le bonheur de voir mon nom imprimé sur la couverture au même titre que celui de l’auteur, un privilège rare offert par les éditions Rivages. Et j’en ai été tellement émue que j’ai dormi avec le livre à côté de moi comme s’il s’était agi d’un doudou ! Je précise que cela m’a passé depuis…
Alors, était-ce l’image que vous vous faisiez du métier d’écrivain ou de traducteur ?
Imaginiez-vous qu’il y a autant de travail derrière les livres que vous lisez et que c’est aussi mal rémunéré ?
Futur écrivain, traducteur ou juste curieux : pour discuter directement avec Edith et lui poser vos questions, n’hésitez pas à la contacter via sa page Facebook !
une interview très intéressante et j’aime l’approche de cette traductrice
L’approche franche ? ^^